Rencontre le jeudi 7 avril à 19h avec Tom Charbit pour son livre Les sirènes d’Es Vedra (Roman/Seuil), il sera accompagné du groupe de lecture à voix haute de l’association En corps en tête.

Pendant vingt ans, Juan Llosa a fait danser la planète. Toujours entre deux avions, deux soirées, deux gueules de bois, le vibrionnant DJ des Sirènes d’Es Vedra a vécu « deux décennies d’exil et d’excès ». Capable de devancer les désirs du public, de « l’amener à un endroit où il n’aurait jamais pensé aller », il est considéré comme « un esthète du mix, un virtuose des platines ». Est-ce parce que la pandémie a rendu rares les occasions de faire la fête et quelque peu anachroniques les évocations de grandes communions musicales ? Les mots et les rythmes du premier roman très abouti de Tom Charbit résonnent chez le lecteur avec une intensité remarquable. Mais gageons plutôt que la mélancolie puissante qui se dégage de ce texte tient surtout à la lucidité, à la fois tendre et impitoyable, toute d’autodérision, avec laquelle le héros du roman examine sa vie de « fêtard invétéré » et tente de s’inventer un avenir.

Lorsque le lecteur fait sa connaissance, le narrateur a trouvé refuge, en plein hiver, dans un village ardéchois. Contraint de s’éloigner des dancefloors pour soigner ses acouphènes, il goûte difficilement la sobriété des lieux. Il lui faut bien admettre que sa « solide expérience de la fête est une compétence assez peu recherchée » hors du monde de la nuit. Et que sa capacité à expliquer « dans n’importe quelle langue et à n’importe quel point du globe [qu’il a] besoin d’une bière fraîche et d’un gramme de cocaïne » ne suffira pas à lui ouvrir les portes de la sociabilité villageoise. Le roman de Tom Charbit n’est pourtant ni un récit branché sous psychotropes, célébrant d’un air faussement désabusé les nuits sans fin d’Ibiza ou de Berlin, ni une satire du roman néorural. Plutôt l’évocation d’une crise de milieu de vie, qui prend au sérieux la question du sens de la fête et la laisse entrer en écho avec les blessures de l’époque.

Le romancier s’empare d’une thématique prétendument futile et en explore avec finesse les profondeurs. Comme Ulysse se laissant séduire par le chant des sirènes, dont il connaît pourtant les dangers mortifères, son narrateur tente de trouver un moyen terme entre l’énergie créatrice à l’œuvre dans la fête et les risques attachés à ses excès. Ce qui aurait pu n’être que le récit d’un malaise existentiel devient, sous la plume aiguisée de Tom Charbit, un roman aussi ample que bouleversant, où l’amour et la mort jouent chacun leur partition sans que l’on sache quelle pulsion mène véritablement la danse(…).

Florence Bouchy, du Monde.

Florence Bouchy, du Monde.